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Réception royale au Yak & Yeti

Mercredi 11 mars 2020. La progression alarmante du virus contraint l’OMS à parler de pandémie. Zimba et Namgyal nous confient que tous les groupes annulent leurs séjours pour la saison. Ils cherchent des solutions pour occuper leur garde rapprochée de guides et de cooks qui travaillent pour eux depuis des années. Namgyal nous propose d’emmener Bhim dans notre aventure. Avec lui, nous avons déjà exploré en 2017 la vallée de Phu pour gravir le Saribung Peak (6328m) avant de traverser le Kang La depuis le merveilleux village de Naar et de retrouver le circuit des Annapurnas.

Boris et l’ouverture du Népal au tourisme

En début d’après-midi, nous accompagnons Tsering au Yak & Yeti pour aider aux préparatifs de la grande réception qui a lieu ce soir. Cet hôtel appartient à la légende. En 1951, Boris Lissanevitch, ancien danseur des Ballets russes, transformait un somptueux palais Rana et ouvrait à Katmandou le Royal Hotel. Jouant de son influence, le charismatique Boris arrivait à convaincre le Roi d’ouvrir les portes de son royaume aux étrangers. Le bar de son établissement de luxe, nommé Yak & Yeti, allait devenir le rendez-vous incontournable des explorateurs, des premiers touristes, des diplomates ou des hommes d’affaires. Tout le monde voulait rencontrer Boris, ce personnage original qui pouvait résoudre tous vos problèmes.

Dans les jardins du Yak & Yeti

Publiée en 1966, la biographie de Boris, « Tiger for Breakfast », écrite par Michel Peissel et devenue une référence de la littérature himalayenne, ne relate pas la fin de l’histoire. En 1969, le Royal Hotel dût fermer ses portes, victime de la concurrence. Boris, entrepreneur insatiable, dénicha un nouveau palais Rana près de Durbar Marg pour y ouvrir un restaurant : le Yak & Yeti. Huit ans plus tard, des investisseurs agrandirent le bâtiment pour en faire un gigantesque hôtel de luxe. Boris allait diriger son célèbre restaurant, « The Chimney Room », qui est encore une des meilleures tables de Katmandou. Depuis son récent rachat par des investisseurs indiens, les expéditions s’y font rare. L’atmosphère a changé. L’esprit de Boris y a définitivement disparu.

Une réception royale

Ce soir, nous avons le privilège de participer au banquet offert par Ang Dati et Zimba dans une des salles de l’aile historique du palace. Dans le hall, un grandiose escalier à double sortie débouche sur une galerie sur les murs de laquelle sont accrochés des portraits de la dynastie Rana.

A moins de trois heures de l’arrivée des premiers invités, la grande salle de réception est encore totalement vide. Pas de panique. Le personnel du palace est rompu à cet exercice quotidien. Installer une soixantaine de tables et draper des chaises pour six cent personnes ne leur prendra que deux petites heures. Le buffet sera installé dans une pièce adjacente, une réplique miniature de la galerie des glaces.

Nous aidons Tsering à décorer les balcons de la galerie avec d’immenses khatas colorés. Il est inhabituellement stressé. Il nous confie avoir le trac car ce soir il doit chanter devant toute l’assemblée. Rapidement désœuvrés, nous profitons des jardins de l’hôtel. Nous y surprenons Sonam et Kalpana en plein tournage de la vidéo officielle de leur mariage. Après des débuts timides, nos jeunes mariés se prennent au jeu. Ces clichés surjoués les entraînent bien loin de la tradition sherpa. Une véritable mise en scène bollywoodienne qui amuse beaucoup nos mariés qui ont l’air de profiter du moment. Ils sont beaux.

Le pont des amoureux

Derniers préparatifs avec un Zimba très stressé

Un peu plus tard, toute la famille de Sonam arrive dans le mini-bus de l’agence. Zimba nous montre son costume taillé sur mesure pour l’occasion. Il ironise sur les manches bien trop courtes de sa veste. Il préfère en rire mais il sait que ce soir, tous les regards seront pourtant posés sur lui et que la qualité de sa réception sera évaluée. Hier, il nous a confié son malaise en nous parlant de cette compétition à laquelle se livrent les familles sherpas de Katmandou : les réceptions sont de plus en plus fastueuses et grandioses. Depuis des mois, chaque nuit, il repasse dans sa tête la liste des invités. Sa hantise n’est pas vraiment d’oublier quelqu’un mais d’être un jour invité par une famille qu’il aurait lui-même oublié de convier.

Zimba apporte une touche finale à la décoration. Le résultat n’est pas probant mais nous lui laissons tous le dernier mot. Ang Dati prépare la table pour le rituel des offrandes de bienvenue. Au milieu de l’agitation, on nous sert un thé que nous allons déguster avec Mama confortablement assis dans les fauteuils de la galerie.

A partir de seize heures, les premiers convives commencent à arriver par petits groupes. Ce flux modéré donne à chacun l’opportunité d’une photo souvenir en compagnie des mariés après avoir reçu un des sachets de femar préparés hier. La salle commence à se remplir. Pas de protocole, ni de plan de table. Les gens s’installent par affinité.

Rituel des offrandes et distribution du femar

Un système de castes pesant

Nous passons un moment avec un homme qui travaille pour l’agence Khumbila. Aujourd’hui, sa femme l’accompagne. Un pur produit de la société hindouiste. Nous lui faisons part de notre bonheur de vivre ce mariage. Elle nous rétorque : « Je n’ai jamais été invitée à un mariage sherpa. Je suis curieuse de voir les traditions de ces ethnies indigènes. » Sur le coup, les propos de cette jeune femme bhramane nous stupéfient et nous poussent à approfondir nos connaissances sur le système de castes. Le terme « indigène » doit être interprété dans son sens étymologique. Il était omniprésent dans le texte du Mulukin Ain, promulgué en 1854, qui régissait le fonctionnement de la société népalaise et reléguait les étrangers au rang de basse caste, celle des impurs, juste au-dessus des intouchables et en-dessous des indigènes.

La diversité ethnique de la société népalaise est parfois d’une complexité désarmante. Le peuple sherpa est originaire de l’est du Tibet comme l’indique littéralement son nom en langue tibétaine : « peuple de l’est ». Ainsi un groupe ethnique qui a franchi la barrière himalayenne il y a environ 500 ans est-il affublé de l’épithète indigène pour lui trouver une place dans un système de caste qui n’est pas le sien.

Malgré la condamnation de toute discrimination basée sur la caste d’un individu introduite dans la révision du code législatif de 1963, ces règles sociétales est toujours en vigueur. Les maoïstes voulaient mettre fin à cette hiérarchie héréditaire immuable. Ce fût même un des terreaux de la révolution. Au Népal, la monarchie hindoue a depuis laissé la place à une république démocratique laïque. Cependant, nous ne pouvons que constater qu’en pratique rien n’a vraiment changé : les hautes castes dirigent toujours le pays.

Un spectacle bien orchestré

Zimba accueille les retardataires et les invitent à rejoindre le bar où Sonam, Bhim et les autres servent des verres généreux de whisky ou de vin. C’est le moment de trinquer avec Bhim qui est ravi de partir avec nous dans quelques jours. Pour lui, c’est une chance car toutes les équipes de trek vont se retrouver sans travail.

Danu et Dr Nima animent la soirée. Les groupes se succèdent pour interpréter des chants et des danses traditionnelles. Au milieu, viennent s’intercaler les artistes de la famille. Le petit Tinley, le fils ainé de Doma et Namgyal, fait le show. Il aura même droit à un rappel.

Un spectacle dans la tradition sherpa

Tsering prend le relai et achève une chanson romantique sur un tonnerre d’applaudissement. Ang Dati, très émue par la prestation de son fils, nous dit : « Je ne connais pas cette chanson mais elle est belle ! ».

Kumar

Il est maintenant l’heure de se restaurer. Les portes de la salle du buffet s’ouvrent et commence un défilé ininterrompu. Un buffet royal. L’assiette garnie, le plus difficile est de retrouver son siège.

Ce soir, Kumar, le fidèle cuisinier de la famille, ne travaille pas. Contrairement aux guides de l’agence qui officient au bar, il fait partie des invités. Pour la première fois, Kumar, qui arbore toujours une tenue décontractée pour travailler, nous apparaît vêtu d’un costume veste-pantalon, d’une chemise et porte une cravate.

La complicité entre Kumar, Ang Dati et Tsering fait plaisir à voir. Dès notre premier séjour chez Zimba et Ang Dati, nous avons ressenti beaucoup d’affection pour Kumar qui est d’une gentillesse sans limite. Au fil des années, de vrais liens d’amitié se sont créés entre nous. Chaque occasion de se retrouver nous procure une joie réciproque et vraiment sincère.

Avec notre ami Kumar et toute sa famille

Instinctivement, Kumar s’est installé en retrait, loin des autres invités, mais surmontant sa timidité, il vient nous chercher à notre table pour nous présenter sa famille. Nous sommes vraiment honorés et touchés de sa démarche. Nous avons le plaisir de passer un long moment avec eux. Kumar est fier de nous faire connaître sa femme, sa fille et son fils.

Zimba enfin libéré

La soirée se termine avec la traditionnelle procession des khatas. Sonam, Kalpana et leurs parents croulent sous les étoffes en soie. Avant de partir, les sherpas reforment une grande ligne au fond de la salle pour entamer leur danse rituelle. C’est au tour de Zimba et de Ang Dati de venir remettre des khatas pour remercier leurs invités. Dr Nima les aide à respecter l’ordre protocolaire.

Le grand bal des khatas

Les invités s’en vont. Nous restons avec la famille proche qui investit la piste de danse sur des rythmes plus modernes. Tout le monde s’amuse. Zimba est enfin libéré du poids des apparences.

Nous rangerons encore la salle avant de partir. Il ne reste plus une goutte d’alcool.

Le bus familial

Nous rentrons en bus avec toute la famille. Sur la banquette arrière, Tsering vient s’asseoir à nos côtés. Il a retrouvé son visage radieux. Le stress de se produire en public est définitivement oublié.

Nous adorons Tsering. Destiné à s’investir aux côtés de son père dans le monde du trekking après de brillantes études aux Etats-Unis, il veut voler de ses propres ailes. Aujourd’hui en charge de la logistique pour ravitailler La Villa Sherpani à Lukla, il s’épanouit et trouve une place dans le projet hôtelier de Zimba et de ses amis auquel il apporte une touche de modernité. Pour lui, l’Hotel Khangri n’est pas seulement destinés aux touristes indiens ou occidentaux. Il voudrait également en faire un lieu de rendez-vous branché pour la jeunesse dorée de Katmandou.

Tsering est très touchant. Il a hérité du trop plein d’idées de son père. Parfois, il les concrétisent comme sa petite boutique de hot-dogs au pied de la résidence familiale. Son père se moque un peu de lui quand il remonte le soir avec son stock de saucisses pour les conserver dans le réfrigérateur. Néanmoins, il persévère. Alors que sa petite entreprise commençait à rencontrer un certain succès, le confinement total imposé par le coronavirus viendra anéantir ses espoirs.

La chance de Tsering est d’avoir des parents exceptionnels qui acceptent toute différence comme un avantage. L’ouverture d’esprit dont fait preuve Ang Dati a toutefois une limite. Comme avant lui ses frères, Tsering sera libre d’épouser l’élue de son cœur à la seule condition qu’elle soit Sherpa, d’une famille honorable, et de préférence originaire de Khumjung ! Pour le bonheur de Sonam et de Namgyal, Kalpana et Doma répondent parfaitement à ces critères.

Nous sommes devenus très proches de Tsering qui passe beaucoup de temps aux côtés de sa maman. Ces liens se sont renforcés au cours de nombreuses sorties aux quatre coins de la vallée de Katmandou. Ang Dati et Tsering semblent attendre nos retours de trek avec impatience car ils savent que nous avons toujours quelque chose d’inédit à leur proposer. Ainsi se réjouissent-ils quand nous les invitons à redécouvrir des merveilles du patrimoine culturel de leur ville, voire souvent à les découvrir. Ces sorties qui rompent leur routine quotidienne sont toujours l’occasion de retrouver des amis. Du pur bonheur partagé.

Pour aujourd’hui, la fête est finie. Il est grand temps d’aller se reposer.

2 commentaires sur “Réception royale au Yak & Yeti”

  1. J’adore les costumes riches en couleur des femmes. Organiser un tel mariage , c’est espérer qu’il va durer toute la vie des époux. Combien de couples divorces au Népal ?
    Je continue à adorer votre prose.

    1. Brigitte et Laurent

      Le Népal enregistre un des plus faibles taux de divorce au monde.
      Le nombre de divorces est en nette augmentation depuis la chute de la monarchie hindoue en 2008.
      Paradoxalement, cette évolution correspond à la diminution du nombre de mariages arrangés.
      L’amour est donc bien aveugle !

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